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FRAGMENTS DE COMEDIE ITALIENNE

avec Lalagé, dont l’élégance égale exactement la sienne, et n’est pas indifférente aux agréments de Cléanthis, qui est obscure et ne prétend pas à un rang éclatant. Mais qui Myrto ne peut souffrir, c’est Doris ; la situation mondaine de Doris est un peu moindre que celle de Myrto, et elle recherche Myrto, comme Myrto fait de Parthénis, pour sa plus grande élégance.

Si nous remarquons chez Myrto ces préférences et cette antipathie, c’est que la duchesse Parthénis non seulement procure un avantage à Myrto, mais encore ne peut l’aimer que pour elle-même ; que Lalagé peut l’aimer pour elle-même et qu’en tout cas étant collègues et de même grade, elles ont besoin l’une de l’autre ; c’est enfin qu’à chérir Cléanthis, Myrto sent avec orgueil qu’elle est capable de se désintéresser, d’avoir un goût sincère, de comprendre et d’aimer, qu’elle est assez élégante pour se passer au besoin de l’élégance. Tandis que Doris ne s’adresse qu’à ses désirs de chic, sans être en mesure de les satisfaire ; qu’elle vient chez Myrto, comme un roquet près d’un mâtin dont les os sont comptés, pour tâter de ses duchesses, et si elle peut, en enlever une ; que, déplaisant comme Myrto par une disproportion fâcheuse entre son rang et celui où elle aspire, elle lui présente enfin l’image de son vice. L’amitié que Myrto porte à Parthénis, Myrto la reconnaît avec déplaisir dans les égards que lui marque Doris. Lalagé, Cléanthis même lui rappelaient ses rêves ambitieux, et Parthénis au moins commençait de les réaliser : Doris ne lui parle que de sa petitesse. Aussi,