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VIOLANTE OU LA MONDANITÉ.

mondain, était arrêté par les mille digues de l’égoïsme, de la coquetterie et de l’ambition. La bonté ne lui plaisait plus que comme une élégance. Elle ferait bien encore des charités d’argent, des charités de sa peine même et de son temps, mais toute une partie d’elle-même était réservée, ne lui appartenait plus. Elle lisait ou rêvait encore le matin dans son lit, mais avec un esprit faussé, qui s’arrêtait maintenant au dehors des choses et se considérait lui-même, non pour s’approfondir, mais pour s’admirer voluptueusement et coquettement comme en face d’un miroir. Et si alors on lui avait annoncé une visite, elle n’aurait pas eu la volonté de la renvoyer pour continuer à rêver ou à lire. Elle en était arrivée à ne plus goûter la nature qu’avec des sens pervertis, et le charme des saisons n’existait plus pour elle que pour parfumer ses élégances et leur donner leur tonalité. Les charmes de l’hiver devinrent le plaisir d’être frileuse, et la gaieté de la chasse ferma son cœur aux tristesses de l’automne. Parfois elle voulait essayer de retrouver, en marchant seule dans une forêt, la source naturelle des vraies joies. Mais, sous les feuillées ténébreuses, elle promenait des robes éclatantes. Et le plaisir d’être élégante corrompait pour elle la joie d’être seule et de rêver.

— Partons-nous demain ? demandait le duc.

— Après-demain, répondait Violante.

Puis le duc cessa de l’interroger. À Augustin qui se lamentait, Violante écrivit : « Je reviendrai quand je serai un peu plus vieille. » — « Ah ! répondit Augustin, vous