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VIOLANTE OU LA MONDANITÉ.

on ne trouve le bonheur qu’à faire ce qu’on aime avec les tendances profondes de son âme.

— Comment le sais-tu, toi qui n’as pas vécu ? dit Violante.

— J’ai pensé et c’est tout vivre, dit Augustin. Mais j’espère que bientôt vous serez prise du dégoût de cette vie insipide.

Violante s’ennuya de plus en plus, elle n’était plus jamais gaie. Alors, l’immoralité du monde, qui jusque-là l’avait laissée indifférente, eut prise sur elle et la blessa cruellement, comme la dureté des saisons terrasse les corps que la maladie rend incapables de lutter. Un jour qu’elle se promenait seule dans une avenue presque déserte, d’une voiture qu’elle n’avait pas aperçue tout d’abord une femme descendit qui alla droit à elle. Elle l’aborda, et lui ayant demandé si elle était bien Violante de Bohême, elle lui raconta qu’elle avait été l’amie de sa mère et avait eu le désir de revoir la petite Violante qu’elle avait tenue sur ses genoux. Elle l’embrassa avec émotion, lui prit la taille et se mit à l’embrasser si souvent que Violante, sans lui dire adieu, se sauva à toutes jambes. Le lendemain soir, Violante se rendit à une fête donnée en l’honneur de la princesse de Misène, qu’elle ne connaissait pas. Elle reconnut dans la princesse la dame abominable de la veille. Et une douairière, que jusque-là Violante avait estimée, lui dit :

— Voulez-vous que je vous présente à la princesse de Misène ?