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VIOLANTE OU LA MONDANITÉ.

rope lui demanda la permission de s’intituler son amant. Elle crut devoir leur refuser à tous deux cette marque d’estime qui eût consacré définitivement leur élégance. Parmi les jeunes gens qui demandèrent à être reçus chez Violante, Laurence se fit remarquer par son insistance. Après lui avoir causé tant de chagrin, il lui inspira par là quelque dégoût. Et sa bassesse l’éloigna d’elle plus que n’avaient fait tous ses mépris. « Je n’ai pas le droit de m’indigner, se disait-elle. Je ne l’avais pas aimé en considération de sa grandeur d’âme et je sentais très bien, sans oser me l’avouer, qu’il était vil. Cela ne m’empêchait pas de l’aimer, mais seulement d’aimer autant la grandeur d’âme. Je pensais qu’on pouvait être vil et tout à la fois aimable. Mais dès qu’on n’aime plus, on en revient à préférer les gens de cœur. Que cette passion pour ce méchant était étrange puisqu’elle était toute de tête, et n’avait pas l’excuse d’être égarée par les sens. L’amour platonique est peu de chose. » Nous verrons qu’elle put considérer un peu plus tard que l’amour sensuel était moins encore.

Augustin vint la voir, voulut la ramener en Styrie.

— Vous avez conquis une véritable royauté, lui dit-il. Cela ne vous suffit-il pas ? Que ne redevenez-vous la Violante d’autrefois.

— Je viens précisément de la conquérir, Augustin, repartit Violante, laisse-moi au moins l’exercer quelques mois.

Un événement qu’Augustin n’avait pas prévu dispensa