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VIOLANTE OU LA MONDANITÉ.

— Par qui ? dit tristement Violante.

Un faible sourire relevait à peine et bien mollement un coin de sa bouche comme on essaye de relever un rideau pour laisser entrer la gaieté du jour.

— Par ce jeune homme de l’an dernier, M. Honoré…

— Je le croyais sur mer, dit Violante.

— Il est revenu, dit Augustin.

Violante se leva aussitôt, alla presque chancelante jusqu’à sa chambre écrire à Honoré qu’il vînt la voir. En prenant la plume, elle eut un sentiment de bonheur, de puissance encore inconnu, le sentiment qu’elle arrangeait un peu sa vie selon son caprice et pour sa volupté, qu’aux rouages de leurs deux destinées qui semblaient les emprisonner mécaniquement loin l’un de l’autre, elle pouvait tout de même donner un petit coup de pouce, qu’il apparaîtrait la nuit, sur la terrasse, autrement que dans la cruelle extase de son désir inassouvi, que ses tendresses inentendues — son perpétuel roman intérieur — et les choses avaient vraiment des avenues qui communiquaient et où elle allait s’élancer vers l’impossible qu’elle allait rendre viable en le créant. Le lendemain elle reçut la réponse d’Honoré, qu’elle alla lire en tremblant sur le banc où il l’avait embrassée.

« Mademoiselle,

» Je reçois votre lettre une heure avant le départ de mon navire. Nous n’avions relâché que pour huit jours, et