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LES PLAISIRS ET LES JOURS.

mauve. Légers comme de claires couronnes flétries et persistants comme des regrets, de petits nuages bleus et roses flotteront à l’horizon… »

Ce fut à dix heures du matin, sous un ciel bas et sale, par une pluie battante, que vint la duchesse Oliviane ; et fatigué par son mal, tout entier à des intérêts plus élevés, et ne sentant plus la grâce des choses qui jadis lui avaient paru le prix, le charme et la gloire raffinée de la vie, il demanda qu’on dît à la duchesse qu’il était trop faible. Elle fit insister, mais il ne voulut pas la recevoir. Ce ne fut même pas par devoir : elle ne lui était plus rien. La mort avait vite fait de rompre ces liens dont il redoutait tant depuis quelques semaines l’esclavage. En essayant de penser à elle, il ne vit rien apparaître aux yeux de son esprit : ceux de son imagination et de sa vanité s’étaient clos.

Pourtant, une semaine à peu près avant sa mort, l’annonce d’un bal chez la duchesse de Bohème où Pia devait conduire le cotillon avec Castruccio qui partait le lendemain pour le Danemark, réveilla furieusement sa jalousie. Il demanda qu’on fît venir Pia ; sa belle-sœur résista un peu ; il crut qu’on l’empéchait de la voir, qu’on le persécutait, se mit en colère, et pour ne pas le tourmenter, on la fit chercher aussitôt.

Quand elle arriva, il était tout à fait calme, mais d’une tristesse profonde. Il l’attira près de son lit et lui parla tout de suite du bal de la duchesse de Bohème. Il lui dit :