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LA MORT DE BALDASSARE SILVANDE.

sa mort. Il voulait rester tel jusqu’à la fin, ne plus être repris par le mensonge, qui, en voulant lui faire une belle et célèbre agonie, aurait mis le comble à ses profanations en souillant les mystères de sa mort comme il lui avait dérobé les mystères de sa vie.

IV

« Demain, puis demain, puis demain glisse ainsi à petits pas jusqu’à la dernière syllabe que le temps écrit dans son livre. Et tous nos hiers ont éclairé pour quelques fous le chemin de la mort poudreuse. Éteins-toi ! Éteins-toi, court flambeau ! La vie n’est qu’une ombre errante, un pauvre comédien qui se pavane et se lamente pendant son heure sur le théâtre et qu’après on n’entend plus. C’est un conte, dit par un idiot, plein de fracas et de furie, et qui ne signifie rien. »
(Shakespeare. Macbeth.)

Les émotions, les fatigues de Baldassare pendant la maladie de sa belle-sœur, avaient précipité la marche de la sienne. Il venait d’apprendre de son confesseur qu’il n’avait plus un mois à vivre ; il était dix heures du matin, il pleuvait à verse. Une voiture s’arrêta devant le château. C’était la duchesse Oliviane. Il s’était dit alors qu’il ornait harmonieusement les scènes de sa mort :

« … Ce sera par une claire soirée. Le soleil sera couché, et la mer qu’on apercevra entre les pommiers sera