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LA MORT DE BALDASSARE SILVANDE.

Il émit une idée, et Jean Galeas, qui le savait guéri, le contredit violemment et le plaisanta. Sa belle-sœur, qui depuis deux mois venait le matin et le soir resta deux jours sans venir le voir. C’en était trop ! Il y avait trop longtemps qu’il s’était déshabitué du bât de la vie, il ne voulait plus le reprendre. C’est qu’elle ne l’avait pas ressaisi par ses charmes. Ses forces revinrent et avec elles tous ses désirs de vivre ; il sortit, recommença à vivre et mourut une deuxième fois à lui-même. Au bout d’un mois, les symptômes de la paralysie générale reparurent. Peu à peu, comme autrefois, la marche lui devint difficile, impossible, assez progressivement pour qu’il pût s’habituer à son retour vers la mort et avoir le temps de détourner la tête. La rechute n’eut même pas la vertu qu’avait eue la première attaque vers la fin de laquelle il avait commencé à se détacher de la vie, non pour la voir encore dans sa réalité, mais pour la regarder, comme un tableau. Maintenant, au contraire, il était de plus en plus vaniteux, irascible, brûlé du regret des plaisirs qu’il ne pouvait plus goûter.

Sa belle-sœur, qu’il aimait tendrement, mettait seule un peu de douceur dans sa fin en venant plusieurs fois par jour avec Alexis.

Une après-midi qu’elle allait voir le vicomte, presque au moment d’arriver chez lui, ses chevaux prirent peur ; elle fut projetée violemment à terre, foulée par un cavalier, qui passait au galop, et emportée chez Baldassare sans connaissance, le crâne ouvert.

Le cocher, qui n’avait pas été blessé, vint tout de suite