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LA MORT DE BALDASSARE SILVANDE.

— Quel est ce joli air de violon que nous avons entendu en entrant ? demanda la mère d’Alexis.

— Ah ! vous l’avez trouvé joli ? dit vivement Baldassare d’un air joyeux. C’est la romance dont je vous avais parlé.

« Joue-t-il la comédie ? se demanda Alexis. Comment le succès de sa musique peut-il encore lui faire plaisir ? »

À ce moment, la figure du vicomte prit une expression. de douleur profonde ; ses joues avaient pâli, il fronça les lèvres et les sourcils, ses yeux s’emplirent de larmes.

« Mon Dieu ! s’écria intérieurement Alexis, ce rôle est au-dessus de ses forces. Mon pauvre oncle ! Mais aussi pourquoi craint-il tant de nous faire de la peine ? Pourquoi prendre à ce point sur lui ? »

Mais les douleurs de la paralysie générale qui serraient parfois Baldassare comme dans un corset de fer jusqu’à lui laisser sur le corps des marques de coups, et dont l’acuité venait de contracter malgré lui son visage, s’étaient dissipées.

Il se remit à causer avec bonne humeur, après s’être essuyé les yeux.

— Il me semble que le duc de Parme est moins aimable pour toi depuis quelque temps ? demanda maladroitement la mère d’Alexis.

— Le duc de Parme ! s’écria Baldassare furieux, le duc de Parme moins aimable ! mais à quoi pensez-vous, ma chère ? Il m’a encore écrit ce matin pour mettre son château d’Illyrie à ma disposition si l’air des montagnes pouvait me faire du bien.