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— Mais, s’il m’en parle ?

— Il ne vous en parlera pas.

— Il ne m’en parlera pas ? dit Alexis étonné, car c’était la seule alternative qu’il n’eût pas prévue : Chaque fois qu’il commençait à imaginer sa visite à son oncle, il l’entendait lui parler de la mort avec la douceur d’un prêtre.

— Mais, enfin, s’il m’en parle ?

— Vous direz qu’il se trompe.

— Et si je pleure ?

— Vous avez trop pleuré ce matin, vous ne pleurerez pas chez lui.

— Je ne pleurerai pas ! s’écria Alexis avec désespoir, mais il croira que je n’ai pas de chagrin, que je ne l’aime pas… mon petit oncle !

Et il se mit à fondre en larmes. Sa mère, impatientée d’attendre, vint le chercher ; ils partirent.

Quand Alexis eut donné son petit paletot à un valet en livrée verte et blanche, aux armes de Sylvanie, qui se tenait dans le vestibule, il s’arrêta un moment avec sa mère à écouter un air de violon qui venait d’une chambre voisine. Puis, on les conduisit dans une immense pièce ronde entièrement vitrée où le vicomte se tenait souvent. En entrant, on voyait en face de soi la mer, et, en tournant la tête, des pelouses, des pâturages et des bois ; au fond de la pièce, il y avait deux chats, des roses, des pavots et beaucoup d’instruments de musique. Ils attendirent un instant.

Alexis se jeta sur sa mère, elle crut qu’il voulait