Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
LES PLAISIRS ET LES JOURS

tempérament… » Je veux vivre, je veux vivre et je veux marcher, je veux la suivre partout, je veux être beau, je veux qu’elle m’aime ! »

À ce moment, il eut peur en entendant sa respiration qui sifflait, il avait mal au côté, sa poitrine semblait s’être rapprochée de son dos, il ne respirait pas comme il voulait, il essayait de reprendre haleine et ne pouvait pas. À chaque seconde il se sentait respirer et ne pas respirer assez. Le médecin vint. Honoré n’avait qu’une légère attaque d’asthme nerveux. Le médecin parti, il fut plus triste : il aurait préféré que ce fût plus grave et être plaint. Car il sentait bien que si cela n’était pas grave, autre chose l’était et qu’il s’en allait. Maintenant il se rappelait toutes les souffrances physiques de sa vie, il se désolait : jamais ceux qui l’aimaient le plus ne l’avaient plaint sous prétexte qu’il était nerveux. Dans les mois terribles qu’il avait passés après son retour avec Buivres, quand à sept heures il s’habillait après avoir marché toute la nuit, son frère qui se réveillait un quart d’heure les nuits qui suivent des dîners trop copieux lui disait :

— Tu t’écoutes trop ; moi aussi, il y a des nuits où je ne dors pas. Et puis, on croit qu’on ne dort pas, on dort toujours un peu.

C’est vrai qu’il s’écoutait trop ; au fond de sa vie, il écoutait toujours la mort qui jamais ne l’avait laissé tout à fait et qui, sans détruire entièrement sa vie, la minait, tantôt ici, tantôt là. Maintenant son asthme augmentait, il ne pouvait pas reprendre haleine, toute sa poitrine faisait