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LA FIN DE LA JALOUSIE

qu’il l’aurait demandé avec l’air de plaisanter, — sans cela quel scandale ! quelle colère ! — mais surtout à cause d’elle, pour voir si le lendemain quand il lui demanderait : « Tu ne m’as jamais trompé ? » elle lui répondrait : « Jamais », avec ce même air aimant. Peut-être elle avouerait tout, et de fait n’aurait succombé que sous ses artifices. Et alors ç’aurait été l’opération salutaire après laquelle son amour serait guéri de la maladie qui le tuait, lui, comme la maladie d’un parasite tue l’arbre (il n’avait qu’à se regarder dans la glace éclairée faiblement par sa bougie nocturne pour en être sûr). Mais, non, car l’image reviendrait toujours, combien plus forte que celles de son imagination et avec quelle puissance, d’assènement incalculable sur sa pauvre tête, il n’essayait même pas de le concevoir.

Alors, tout à coup, il songeait à elle, à sa douceur, à sa tendresse, à sa pureté et voulait pleurer de l’outrage qu’une seconde il avait songé à lui faire subir. Rien que l’idée de proposer cela à des camarades de fête !

Bientôt il sentait le frisson général, la défaillance qui précède de quelques minutes le sommeil par le bromidia. Tout d’un coup n’apercevant rien, aucun rêve, aucune sensation, entre sa dernière pensée et celle-ci, il se disait : « Comment, je n’ai pas encore dormi ? » Mais en voyant qu’il faisait grand jour, il comprenait que pendant plus de six heures, le sommeil du bromidia l’avait possédé sans qu’il le goûtât.

Il attendait que ses élancements à la tête fussent un