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LES PLAISIRS ET LES JOURS

son cœur avec la douceur natale des cloches, il la croyait ; et s’il ne se sentait plus heureux comme autrefois, au moins il ne lui semblait pas impossible que son cœur convalescent retrouvât un jour le bonheur. Mais quand il était loin de Françoise, quelquefois aussi quand, étant près d’elle, il voyait ses yeux briller de feux qu’il s’imaginait aussitôt allumés autrefois, — qui sait, peut-être hier comme ils le seraient demain, — allumés par un autre ; quand, venant de céder au désir tout physique d’une autre femme, et se rappelant combien de fois il y avait cédé et avait pu mentir à Françoise sans cesser de l’aimer, il ne trouvait plus absurde de supposer qu’elle aussi lui mentait, qu’il n’était même pas nécessaire pour lui mentir de ne pas l’aimer, et qu’avant de le connaître elle s’était jetée sur d’autres avec cette ardeur qui le brûlait maintenant, — et lui paraissait plus terrible que l’ardeur qu’il lui inspirait, à elle, ne lui paraissait douce, parce qu’il la voyait avec l’imagination qui grandit tout.

Alors, il essaya de lui dire qu’il l’avait trompée ; il l’essaya non par vengeance ou besoin de la faire souffrir comme lui, mais pour qu’en retour elle lui dît aussi la vérité, surtout pour ne plus sentir le mensonge habiter en lui, pour expier les fautes de sa sensualité, puisque, pour créer un objet à sa jalousie, il lui semblait par moments que c’était son propre mensonge et sa propre sensualité qu’il projetait en Françoise.

C’était un soir, en se promenant avenue des Champs-Élysées, qu’il essaya de lui dire qu’il l’avait trompée. Il