« fonds » normands d’où montent avec souplesse des hêtres élevés et épais dont les feuillages écartent comme une berge mince mais résistante cet océan de lumière, et n’en retiennent que quelques gouttes qui tintent mélodieusement dans le noir silence du sous-bois. Notre esprit n’a pas, comme au bord de la mer, dans les plaines, sur les montagnes, la joie de s’étendre sur le monde, mais le bonheur d’en être séparé ; et, borné de toutes parts par les troncs indéracinables, il s’élance en hauteur à la façon des arbres. Couchés sur le dos, la tête renversée dans les feuilles sèches, nous pouvons suivre du sein d’un repos profond la joyeuse agilité de notre esprit qui monte, sans faire trembler le feuillage, jusqu’aux plus hautes branches où il se pose au bord du ciel doux, près d’un oiseau qui chante. Çà et là un peu de soleil stagne au pied des arbres qui, parfois, y laissent rêveusement tremper et dorer les feuilles extrêmes de leurs branches. Tout le reste, détendu et fixé, se tait, dans un sombre bonheur. Élancés et debout, dans la vaste offrande de leurs branches, et pourtant reposés et calmes, les arbres, par cette attitude étrange et naturelle, nous invitent avec des murmures gracieux à sympathiser avec une vie si antique et si jeune, si différente de la nôtre et dont elle semble l’obscure réserve inépuisable.
Un vent léger trouble un instant leur étincelante et sombre immobilité, et les arbres tremblent faiblement, balançant la lumière sur leurs cimes et remuant l’ombre à leurs pieds.