Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
LA CONFESSION D’UNE JEUNE FILLE

hébétée. Je ne sais si elle a crié, je n’ai rien entendu, mais elle est tombée en arrière et est restée la tête prise entre les deux barreaux du balcon…

Ce n’est pas la dernière fois que je vous le raconte ; je vous l’ai dit, je me suis presque manquée, je m’étais pourtant bien visée, mais j’ai mal tiré. Pourtant on n’a pas pu extraire la balle et les accidents au cœur ont commencé. Seulement je peux rester encore huit jours comme cela et je ne pourrai cesser jusque-là de raisonner sur les commencements et de voir la fin. J’aimerais mieux que ma mère m’ait vu commettre d’autres crimes encore et celui-là même, mais qu’elle n’ait pas vu cette expression joyeuse qu’avait ma figure dans la glace. Non, elle n’a pu la voir… C’est une coïncidence… elle a été frappée d’apoplexie une minute avant de me voir. Elle ne l’a pas vue… Cela ne se peut pas ! Dieu qui savait tout ne l’aurait pas voulu.