Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LA CONFESSION D’UNE JEUNE FILLE

que de l’eau à cause de l’excitation trop vive que le vin causait à mes nerfs. Mon oncle déclara qu’à un moment comme celui-là, je pouvais faire une exception. Je revois très bien sa figure gaie en prononçant ces paroles stupides… Mon Dieu ! mon Dieu ! j’ai tout confessé avec tant de calme, vais-je être obligée de m’arrêter ici ? Je ne vois plus rien ! Si… mon oncle dit que je pouvais bien à un moment comme celui-là faire une exception. Il me regarda en riant en disant cela, je bus vite avant d’avoir regardé ma mère dans la crainte qu’elle ne me le défendît. Elle dit doucement : « On ne doit Jamais faire une place au mal, si petite qu’elle soit. » Mais le vin de Champagne était si frais que j’en bus encore deux autres verres. Ma tête était devenue très lourde, j’avais à la fois besoin de me reposer et de dépenser mes nerfs. On se levait de table : Jacques s’approcha de moi et me dit en me regardant fixement :

— Voulez-vous venir avec moi ; je voudrais vous montrer des vers que j’ai faits.

Ses beaux yeux brillaient doucement dans ses joues fraîches, il releva lentement ses moustaches avec sa main. Je compris que je me perdais et je fus sans force pour résister. Je dis toute tremblante :

— Oui, cela me fera plaisir.

Ce fut en disant ces paroles, avant même peut-être, en buvant le second verre de vin de Champagne que je commis l’acte vraiment responsable, l’acte abominable. Après cela, je ne fis plus que me laisser faire. Nous avions fermé à clef les deux portes, et lui, son haleine sur mes joues,