Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
LA CONFESSION D’UNE JEUNE FILLE

portèrent des fruits. La grâce de Dieu, la grâce de la jeunesse, — où l’on voit tant de plaies se refermer d’elles-mêmes par la vitalité de cet âge — m’avaient guérie. Si, comme l’a dit saint Augustin, il est plus difficile de redevenir chaste que de l’avoir été, je connus alors une vertu difficile. Personne ne se doutait que je valais infiniment mieux qu’avant et ma mère baisait chaque jour mon front qu’elle n’avait jamais cessé de croire pur sans savoir qu’il était régénéré. Bien plus, on me fit à ce moment, sur mon attitude distraite, mon silence et ma mélancolie dans le monde, des reproches injustes. Mais je ne m’en fâchais pas : le secret qui était entre moi et ma conscience satisfaite me procurait assez de volupté. La convalescence de mon âme — qui me souriait maintenant sans cesse avec un visage semblable à celui de ma mère et me regardait avec un air de tendre reproche à travers ses larmes qui séchaient — était d’un charme et d’une langueur infinis. Oui, mon âme renaissait à la vie. Je ne comprenais pas moi-même comment j’avais pu la maltraiter, la faire souffrir, la tuer presque. Et je remerciais Dieu avec effusion de l’avoir sauvée à temps.

C’est l’accord de cette joie profonde et pure avec la fraîche sérénité du ciel que je goûtais le soir où tout s’est accompli. L’absence de mon fiancé, qui était allé passer deux jours chez sa sœur, la présence à dîner du jeune homme qui avait la plus grande responsabilité dans mes fautes passées, ne projetaient pas sur cette limpide soirée de mai la plus légère tristesse. Il n’y avait pas un nuage au ciel