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LES PLAISIRS ET LES JOURS.


Entre tes quais joyeux fleuve saint des douleurs,
Jardin pensif, affectueux, frais et fidèle
Où se baisent les lys, la lune et l’hirondelle,
Armée en marche, enfant qui rêve, femme en pleurs !

MOZART

Italienne aux bras d’un Prince de Bavière
Dont l’œil triste et glacé s’enchante à sa langueur !
Dans ses jardins frileux il tient contre son cœur
Ses seins mûris à l’ombre, où têter la lumière.

Sa tendre âme allemande, — un si profond soupir ! —
Goûte enfin la paresse ardente d’être aimée,
Il livre aux mains trop faibles pour le retenir
Le rayonnant espoir de sa tête charmée.

Chérubin, Don Juan ! loin de l’oubli qui fane
Debout dans les parfums tant il foula de fleurs
Que le vent dispersa sans en sécher les pleurs
Des jardins andalous aux tombes de Toscane !

Dans le parc allemand où brument les ennuis,
L’Italienne encore est reine de la nuit.
son haleine y fait l’air doux et spirituel
Et sa Flûte enchantée égoutte avec amour
Dans l’ombre chaude encor des adieux d’un beau jour
La fraîcheur des sorbets, des baisers et du ciel.