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LES PLAISIRS ET LES JOURS

PAULUS POTTER

Sombre chagrin des ciels uniformément gris,
Plus tristes d’être bleus aux rares éclaircies,
Et qui laissent alors sur les plaines transies
Filtrer les tièdes pleurs d’un soleil incompris ;
Potter, mélancolique humeur des plaines sombres
Qui s’étendent sans fin, sans joie et sans couleur,
Les arbres, le hameau ne répandent pas d’ombres,
Les maigres jardinets ne portent pas de fleur.
Un laboureur tirant des seaux rentre, et, chétive,
Sa jument résignée, inquiète et rêvant,
Anxieuse, dressant sa cervelle pensive,
Hume d’un souffle court le souffle fort du vent.

ANTOINE WATTEAU

Crépuscule grimant les arbres et les faces,
Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
Poussière de baisers autour des bouches lasses…
Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.

La mascarade, autre lointain mélancolique,
Fait le geste d’aimer plus faux, triste et charmant.
Caprice de poète — ou prudence d’amant,
L’amour ayant besoin d être orné savamment —
Voici barques, goûters, silences et musique.