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MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE

infinis, les avait laissés baigner dans la surnaturelle lumière de son charme et avait en échange prêté à son amour un peu du sien, qui avait intéressé à cet amour, solidarisé avec lui et confondu toute sa plus haute et sa plus intime vie intérieure, avait consacré à lui comme le trésor d’une église à la madone, tous les plus précieux joyaux de son cœur et de sa pensée, de son cœur, qu’elle écoutait gémir dans les soirées ou sur la mer dont la mélancolie et celle qu’elle avait de ne le point voir étaient maintenant sœurs : elle maudissait cet inexprimable sentiment du mystère des choses où notre esprit s’abîme dans un rayonnement de beauté, comme le soleil couchant dans la mer, pour avoir approfondi son amour, l’avoir immatérialisé, élargi, infinisé sans l’avoir rendu moins torturant, « car (comme l’a dit Baudelaire, parlant des fins d’après-midi d’automne) il est des sensations dont le vague n’exclut pas l’intensité, et il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’infini ».

V

αὐτεῖ ἐπ' ἀιόνος κατετάκετο φυκιοέσσας ἐξ ἀοῦς, ἔχθιστον ἔχοισ' ὑποκάρδιον ἕλκος Κύπριδος ἐκ μεγάλας, τό οἱ ἥπατι πᾶξε βέλεμνον (et se consumait depuis le jour levant, sur les algues du rivage, gardant au fond du cœur, comme une flèche dans le foie la plaie cuisante de la grande Kypris).
(Théocrite : le Cyclope.)

C’est à Trouville que je viens de retrouver madame de Breyves, que j’avais connue plus heureuse. Rien ne peut