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MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE

Une heure après, un domestique lui portait cette lettre :

« Ne vous inquiétez pas, Madame, M. de Laléande n’a pas su que vous vouliez l’entendre. Je lui avais demandé les jours où il pourrait venir jouer chez moi sans dire pour qui. Il m’a répondu de Biarritz qu’il ne reviendrait pas avant le mois de janvier. Ne me remerciez pas non plus. Mon plus grand plaisir serait de vous en faire un peu, etc.

» grumello. »

Il n’y avait plus rien à faire. Elle ne fit plus rien, s’attrista de plus en plus, eut des remords de s’attrister ainsi, d’attrister sa mère. Elle alla passer quelques jours à la campagne, puis partit pour Trouville. Elle y entendit parler des ambitions mondaines de M. de Laléande, et quand un prince s’ingéniant lui disait : « Que pourrais-je pour vous faire plaisir ? » elle s’égayait presque à imaginer combien il serait étonné si elle lui avait répondu sincèrement, et concentrait pour la savourer toute l’enivrante amertume qu’il y avait dans l’ironie de ce contraste entre toutes les grandes choses difficiles qu’on avait toujours faites pour lui plaire, et la petite chose si facile et si impossible qui lui aurait rendu le calme, la santé, le bonheur et le bonheur des siens. Elle ne se plaisait un peu qu’au milieu de ses domestiques, qui avaient une immense admiration pour elle et qui la servaient sans oser lui parler, la sentant si triste. Leur silence respec-