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MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE

assez grand, pour des choses qui ne me concernent pas et qu’on ne me permettra sans doute pas de te dire avant un mois (d’ici là elle aurait convenu avec lui d’un mensonge pour n’être pas découverte, et cette pensée d’un secret où seuls ils seraient tous les deux lui était douce), à faire sa connaissance et à me trouver avec lui. Je t’en prie, tâche de me trouver un moyen parce que la saison est finie, il n’y aura plus rien et je ne pourrai plus me le faire présenter.

Les étroites pratiques de l’amitié, si purifiantes quand elles sont sincères, abritaient Geneviève aussi bien que Françoise des curiosités stupides qui sont l’infâme volupté de la plupart des gens du monde. Aussi de tout son cœur, sans avoir eu un instant l’intention ni le désir, pas même l’idée d’interroger son amie, Geneviève cherchait, se fâchait seulement de ne pas trouver.

— C’est malheureux que madame d’A… soit partie. Il y a bien M. de Grumello, mais après tout, cela n’avance à rien, quoi lui dire ? Oh ! j’ai une idée. M. de Laléande joue du violoncelle assez mal, mais cela ne fait rien. M. de Grumello l’admire, et puis il est si bête et sera si content de te faire plaisir. Seulement toi qui l’avais toujours tenu à l’écart et qui n’aimes pas lâcher les gens après t’en être servie, tu ne vas pas vouloir être obligée de l’inviter l’année prochaine.

Mais déjà Françoise, rouge de joie, s’écriait :

— Mais cela m’est bien égal, j’inviterai tous les rastaquouères de Paris s’il le faut. Oh ! fais-le vite, ma petite Geneviève, que tu es gentille !