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MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE

bout d’un instant et les deux femmes partirent. Madame de Breyves ne raconta rien et resta choquée et flattée, au fond très indifférente. Au bout de deux jours, y ayant repensé par hasard, elle commença de douter de la réalité des paroles de M. de Laléande. Essayant de se rappeler, elle ne le put pas complètement, crut les avoir entendues comme dans un rêve et se dit que le mouvement du coude était une maladresse fortuite. Puis elle ne pensa plus spontanément à M. de Laléande et quand par hasard elle entendait prononcer son nom, elle se rappelait rapidement sa figure et avait tout à fait oublié la presque hallucination au vestiaire.

Elle le revit à la dernière soirée qui fut donnée cette année-là (juin finissait), n’osa pas demander qu’on le lui présentât, et pourtant, malgré qu’elle le trouvât presque laid, le sût pas intelligent, elle aurait bien aimé le connaître. Elle s’approcha de Geneviève et lui dit :

— Présente-moi tout de même M. de Laléande. Je n’aime pas à être impolie. Mais ne dis pas que c’est moi qui le demande. Cela m’engagerait trop.

— Tout à l’heure si nous le voyons, il n’est pas là pour le moment.

— Eh bien, cherche-le.

— Il est peut-être parti.

— Mais non, dit très vite Françoise, il ne peut pas être parti, il est trop tôt. Oh ! déjà minuit. Voyons, ma petite Geneviève, ça n’est pourtant pas bien difficile.