Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE

— C’est M. de Laléande que je ne connais d’ailleurs pas du tout. Veux-tu que je te le présente ? il me l’avait demandé, j’ai répondu dans le vague, parce qu’il est très insignifiant et ennuyeux, et comme il te trouve très jolie il ne te lâcherait plus.

— Oh alors ! non, dit Françoise, il est un peu laid du reste et vulgaire, malgré d’assez beaux yeux.

— Tu as raison, dit Geneviève. Et puis tu le rencontreras souvent, cela pourrait te gêner si tu le connaissais.

Elle ajouta en plaisantant :

— Maintenant si tu désires être intime avec lui, tu perds une bien belle occasion.

— Oui, une bien belle occasion, dit Françoise, — et elle pensait déjà à autre chose.

— Après tout, dit Geneviève, prise sans doute du remords d’avoir été un si infidèle mandataire et d’avoir gratuitement privé ce jeune homme d’un plaisir, c’est une des dernières soirées de la saison, cela n’aurait rien de bien grave et ce serait peut-être plus gentil.

— Eh bien soit, s’il revient par ici.

Il ne revint pas. Il était à l’autre bout du salon, en face d’elles.

— Il faut nous en aller, dit bientôt Geneviève.

— Encore un instant, dit Françoise.

Et par caprice, surtout de coquetterie envers ce jeune homme qui devait en effet la trouver bien jolie, elle se mit à le regarder un peu longtemps, puis détournait les yeux et les fixait de nouveau sur lui. En le regardant, elle