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LES PLAISIRS ET LES JOURS

un tout compact et isolé !… D’ailleurs, on respecte encore plus les titres dans la haute banque, et quant à ceux des rastaquouères, ils sont innombrables. Mais, selon Pécuchet, on devait être intransigeant avec les faux nobles et affecter de ne point leur donner de particules même sur les enveloppes des lettres ou en parlant à leurs domestiques. Bouvard, plus sceptique, n’y voyait qu’une manie plus récente, mais aussi respectable que celle des anciens seigneurs. D’ailleurs, la noblesse, d’après eux, n’existait plus depuis qu’elle avait perdu ses privilèges. Elle est cléricale, arriérée, ne lit pas, ne fait rien, s’amuse autant que la bourgeoisie ; ils trouvaient absurde de la respecter. Sa fréquentation seule était possible, parce qu’elle n’excluait pas le mépris. Bouvard déclara que pour savoir où ils fréquenteraient, vers quelles banlieues ils se hasarderaient une fois l’an, où seraient leurs habitudes, leurs vices, il fallait d’abord dresser un plan exact de la société parisienne. Elle comprenait, suivant lui, le Faubourg Saint-Germain, la finance, les rastaquouères, la société protestante, le monde des arts et des théâtres, le monde officiel et savant. Le Faubourg, à l’avis de Pécuchet, cachait sous des dehors rigides le libertinage de l’ancien régime. Tout noble a des maîtresses, une sœur religieuse, conspire avec le clergé. Ils sont braves, s’endettent, ruinent et flagellent les usuriers, sont inévitablement les champions de l’honneur. Ils règnent par l’élégance, inventent des modes extravagantes, sont des fils exemplaires, affectueux avec le peuple et durs aux banquiers. Toujours l’épée à la main