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MONDANITÉ ET MÉLOMANIE

en rentrant le bas du dos ou en le transformant en pivot ? Les mains doivent-elles tomber le long du corps, garder le chapeau, être gantées ? La figure doit-elle rester sérieuse ou sourire pendant la durée du salut ? Mais comment reprendre immédiatement sa gravité le salut fini.

Présenter aussi est difficile.

Par le nom de qui faut-il commencer ? Faut-il désigner de la main la personne qu’on nomme, ou d’un signe de tête, ou garder l’immobilité avec un air indifférent ? Faut-il saluer de la même manière un vieillard et un jeune homme, un serrurier et un prince, un acteur et un académicien ? L’affirmative satisfaisait aux idées égalitaires de Pécuchet, mais choquait le bon sens de Bouvard.

Comment donner son titre à chacun ?

On dit monsieur à un baron, à un vicomte, à un comte ; mais « bonjour, monsieur le marquis », leur semblait plat, et « bonjour, marquis », trop cavalier, étant donné leur âge. Ils se résigneraient à dire « prince » et « monsieur le duc » bien que ce dernier usage leur parût révoltant. Quand ils arrivaient aux Altesses, ils se troublaient ; Bouvard, flatté de ses relations futures, imaginait mille phrases où cette appellation apparaissait sous toutes ses formes ; il l’accompagnait d’un petit sourire rougissant, en inclinant un peu la tête, et en sautillant sur ses jambes. Mais Pécuchet déclarait qu’il s’y perdrait, s’embrouillerait toujours, ou éclaterait de rire au nez du prince. Bref, pour moins de gêne, ils n’iraient pas dans le Faubourg Saint-Germain. Mais il entre partout, de loin seulement semble