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LES PLAISIRS ET LES JOURS

premiers confidents de ce trait d’esprit, le lisant ensuite, seraient flattés rétrospectivement d’en avoir eu la primeur.

Lemaître, malgré tout son esprit, leur semblait inconséquent, irrévérencieux, tantôt pédant et tantôt bourgeois ; il exécutait trop souvent la palinodie. Son style surtout était lâché, mais la difficulté d’improviser à dates fixes et si rapprochées doit l’absoudre. Quant à France, il écrit bien, mais pense mal, au contraire de Bourget, qui est profond, mais possède une forme affligeante. La rareté d’un talent complet les désolait.

Cela ne doit pourtant pas être bien difficile, songeait Bouvard, d’exprimer ses idées clairement. Mais la clarté ne suffit pas, il faut la grâce (unie à la force), la vivacité, l’élévation, la logique. Bouvard ajoutait l’ironie. Selon Pécuchet, elle n’est pas indispensable, fatigue souvent et déroute sans profit pour le lecteur. Bref, tout le monde écrit mal. Il fallait, selon Bouvard, en accuser la recherche excessive de l’originalité ; selon Pécuchet, la décadence des mœurs.

— Ayons le courage de cacher nos conclusions dans le monde, dit Bouvard ; nous passerions pour des détracteurs, et, effrayant chacun, nous déplairions à tout le monde. Rassurons au lieu d’inquiéter. Notre originalité nous nuira déjà assez. Même tâchons de la dissimuler. On peut ne pas y parler littérature.

Mais d’autres choses y sont importantes.

— Comment faut-il saluer ? Avec tout le corps ou de la tête seulement, lentement ou vite, comme on est placé ou en réunissant les talons, en s’approchant ou de sa place,