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MONDANITÉ ET MÉLOMANIE

— Pourquoi les forcer ? disait Pécuchet en roi débonnaire ; ils ont peut-être du sang, ces poulains-là. Laissons-leur la bride sur le cou : la seule crainte, c’est qu’ainsi emballés, ils ne dépassent le but ; mais l’extravagance même est la preuve d’une nature riche.

— Pendant ce temps, les barrières seront brisées, criait Pécuchet ; — et, remplissant de ses dénégations la chambre solitaire, il s’échauffait : — Du reste, dites tant que vous voudrez que ces lignes inégales sont des vers, je me refuse à y voir autre chose que de la prose, et sans signification, encore !

Mallarmé n’a pas plus de talent, mais c’est un brillant causeur. Quel malheur qu’un homme aussi doué devienne fou chaque fois qu’il prend la plume. Singulière maladie et qui leur paraissait inexplicable. Mæterlinck effraye, mais par des moyens matériels et indignes du théâtre ; l’art émeut à la façon d’un crime, c’est horrible ! D’ailleurs, sa syntaxe est misérable.

Ils en firent spirituellement la critique en parodiant dans la forme d’une conjugaison son dialogue : « J’ai dit que la femme était entrée. — Tu as dit que la femme était entrée. — Vous avez dit que la femme était entrée. — Pourquoi a-t-on dit que la femme était entrée ? »

Pécuchet voulait envoyer ce petit morceau à la Revue des Deux Mondes, mais il était plus avisé, selon Bouvard, de le réserver pour le débiter dans un salon à la mode. Ils seraient classés du premier coup selon leur mérite. Ils pourraient très bien le donner plus tard à une revue. Et les