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FRAGMENTS DE COMÉDIE ITALIENNE

l’expression de son regard, si j’ai su la faire assez niaise, montre assez qu’il ne comprend rien.

Près de la cheminée vous reconnaîtrez C…

Il débouche un flacon et explique à sa voisine qu’il y a fait concentrer les parfums les plus violents et les plus étranges.

B…, désespéré de ne pouvoir renchérir sur lui, et pensant que la plus sûre manière de devancer la mode, c’est d’être démodé avec éclat, respire deux sous de violettes et considère C… avec mépris.

Vous-même n’eûtes-vous pas de ces retours artificiels à la nature ? J’aurais voulu, si ces détails n’eussent été trop minuscules pour rester distincts, figurer dans un coin retiré de votre bibliothèque musicale d’alors, vos opéras de Wagner, vos symphonies de Franck et de d’Indy mises au rancart, et sur votre piano quelques cahiers encore ouverts de Haydn, de Haendel ou de Palestrina.

Je n’ai pas craint de vous figurer sur le canapé rose. T… y est assis auprès de vous. Il vous décrit sa nouvelle chambre savamment goudronnée pour lui suggérer les sensations d’un voyage en mer, vous dévoile toutes les quintessences de sa toilette et de son ameublement.

Votre sourire dédaigneux témoigne que vous prisez peu cette imagination infirme à qui une chambre nue ne suffit pas pour y faire passer toutes les visions de l’univers, et qui conçoit l’art et la beauté d’une façon si pitoyablement matérielle.

Vos plus délicieuses amies sont là. Me le pardon-