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FRAGMENTS DE COMÉDIE ITALIENNE

ne te dirons pas pourquoi tu es amoureux, mais nous te dirons pourquoi tu es triste, et si notre enfant se désespère et pleure, nous lui raconterons des histoires, nous le bercerons comme autrefois quand la voix de sa mère prêtait à nos paroles sa douce autorité, devant le feu qui flambait de toutes ses étincelles, de tous tes espoirs et de tous tes rêves.

Honoré. — Je suis amoureux d’elle et je crois que je serai aimé. Mais mon cœur me dit que moi qui fus si changeant, je serai toujours amoureux d’elle, et ma bonne fée sait que je n’en serai aimé qu’un mois. Voilà pourquoi, avant d’entrer dans le paradis de ces joies brèves, je m’arrête sur le seuil pour essuyer mes yeux.

Sa Bonne Fée. — Cher ami, je viens du ciel t’apporter ta grâce, et ton bonheur dépendra de toi. Si, pendant un mois, au risque de gâter par tant d’artifices les joies que tu te promettais des débuts de cet amour, tu dédaignes celle que tu aimes, si tu sais pratiquer la coquetterie et affecter l’indifférence, ne pas venir au rendez-vous que vous prendrez et détourner tes lèvres de sa poitrine qu’elle te tendra comme une gerbe de roses, votre amour fidèle et partagé s’édifiera pour l’éternité sur l’incorruptible base de ta patience.

Honoré, sautant de joie. — Ma bonne fée, je t’adore et je t’obéirai.

La Petite Pendule de Saxe. — Ton amie est inexacte, mon aiguille a déjà dépassé la minute où tu la rêvais depuis si longtemps et où la bien-aimée devait venir. Je crains bien