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FRAGMENTS DE COMÉDIE ITALIENNE

le Gaulois. Les nouvelles élégantes sont dévorées en un instant. Les inquiètes provinciales sont repues. Et pour une heure des regards rassérénés vont briller dans leurs prunelles élargies par la jouissance et l’admiration.

III

contre une snob

Si vous n’étiez pas du monde et si l’on vous disait qu’Élianthe, jeune, belle, riche, aimée d’amis et d’amoureux comme elle est, rompt avec eux tout d’un coup, implore sans relâche les faveurs et souffre sans impatience les rebuffades d’hommes, parfois laids, vieux et stupides, qu’elle connaît à peine, travaille pour leur plaire comme au bagne, en est folle, en devient sage, se rend à force de soins leur amie, s’ils sont pauvres leur soutien, sensuels leur maîtresse, vous penseriez : quel crime a donc commis Élianthe et qui sont ces magistrats redoutables qu’il lui faut à tout prix acheter, à qui elle sacrifie ses amitiés, ses amours, la liberté de sa pensée, la dignité de sa vie, sa fortune, son temps, ses plus intimes répugnances de femme ? Pourtant Élianthe n’a commis aucun crime. Les juges qu’elle s’obstine à corrompre ne songeaient guère à elle et l’auraient laissée couler tranquillement sa vie riante et pure, Mais une terrible malédiction est sur elle : elle est snob.