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ne laisse que le choix des communications. On peut dire qu’il n’y avait pas, si je cherchais à ne pas en user inconsciemment mais à me rappeler ce qu’elle avait été, une seule des choses qui nous servaient en ce moment qui n’avait été une chose vivante, et vivant d’une vie personnelle pour nous, transformée ensuite à notre usage en simple matière industrielle. Et ma présentation à Mlle de Saint-Loup allait avoir lieu chez Mme Verdurin devenue princesse de Guermantes ! Avec quel charme je repensais à tous nos voyages avec Albertine — dont j’allais demander à Mlle de Saint-Loup d’être un succédané — dans le petit tram, vers Doville, pour aller chez Mme Verdurin, cette même Mme Verdurin qui avait noué et rompu, avant mon amour pour Albertine, celui du grand-père et de la grand’mère de Mlle de Saint-Loup. Tout autour de nous étaient des tableaux de cet Elstir qui m’avait présenté à Albertine. Et pour mieux fondre tous mes passés, Mme Verdurin, tout comme Gilberte, avait épousé un Guermantes.

Nous ne pourrions pas raconter nos rapports avec un être, que nous avons même peu connu, sans faire se succéder les sites les plus différents de notre vie. Ainsi chaque individu — et j’étais moi-même un de ces individus — mesurait pour moi la durée par la révolution qu’il avait accomplie non seulement autour de soi-même, mais autour des autres, et notamment par les positions qu’il avait occupées successivement par rapport à moi.

Et sans doute tous ces plans différents, suivant lesquels le Temps, depuis que je venais de le ressaisir, dans cette fête, disposait ma vie, en me faisant songer que, dans un livre qui voudrait en