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monde (car, même à sa défense de l’actualité, la duchesse mêlait ses préjugés d’aristocrate). D’ailleurs devriez-vous venir dans des maisons comme ici ? Aujourd’hui, encore, je comprends parce qu’il y avait cette récitation de Rachel, ça peut vous intéresser. Mais si belle qu’elle ait été, elle ne donne pas devant ce public-là. Je vous ferai déjeuner seule avec elle. Alors vous verrez l’être que c’est. Mais elle est cent fois supérieure à tout ce qui est ici. Et après déjeuner elle vous dira du Verlaine. Vous m’en direz des nouvelles. » Elle me vanta surtout ses après-déjeuners, où il y avait tous les jours X et Y. Car elle en était arrivée à cette conception des femmes à « salons » qu’elle méprisait autrefois (bien qu’elle le niât aujourd’hui) et dont la grande supériorité, le signe d’élection selon elle, étaient d’avoir chez elle « tous les hommes ». Si je lui disais que telle grande dame à « salons » ne disait pas du bien, quand elle vivait, de Mme Howland, la duchesse éclatait de rire devant ma naïveté : « Naturellement, l’autre avait chez elle tous les hommes et celle-ci cherchait à les attirer. » Elle reprit : « Mais dans de grandes machines comme ici, non, ça me passe que vous veniez. À moins que ce ne soit pour faire des études... », ajouta-t-elle d’un air de doute, de méfiance, et sans trop s’aventurer, car elle ne savait pas très exactement en quoi consistait le genre d’opérations improbables auquel elle faisait allusion.

« Est-ce que vous ne croyez pas, dis-je à la duchesse, que ce soit pénible à Mme de Saint-Loup d’entendre ainsi, comme elle vient de le faire, l’ancienne maîtresse de son mari ? » Je vis se former dans le visage de Mme de Guermantes cette barre oblique qui relie par des raisonnements ce qu’on vient d’entendre à