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qu’elle avait terminé ses récitations. Déjà, dans l’antichambre, où l’attente du couple s’était prolongée, les valets de pied commençaient à se gausser des deux solliciteurs éconduits. La honte d’une avanie, le souvenir du rien qu’était Rachel auprès de sa mère, poussèrent la fille de la Berma à poursuivre à fond une démarche que lui avait fait risquer d’abord le simple besoin du plaisir. Elle fit demander comme un service à Rachel, dût-elle ne pas avoir à l’entendre, la permission de lui serrer la main. Rachel était en train de causer avec un prince italien qu’on disait séduit par l’attrait de sa grande fortune, dont quelques relations mondaines dissimulaient un peu l’origine ; elle mesura le renversement des situations qui mettait maintenant les enfants de l’illustre Berma à ses pieds. Après avoir narré à tout le monde, d’une façon plaisante, cet incident, elle fit dire au jeune couple d’entrer, ce qu’il fit sans se faire prier, ruinant d’un seul coup la situation sociale de la Berma comme il avait détruit sa santé. Rachel l’avait compris, et que son amabilité condescendante donnerait la réputation, à elle de plus de bonté, au jeune couple de plus de bassesse que n’eût fait son refus. Aussi les reçut-elle à bras ouverts, avec affectation, disant d’un air de protectrice en vue et qui sait oublier sa grandeur : « Mais je crois bien ! c’est une joie. La princesse sera ravie. » Ne sachant pas qu’on croyait, au Théâtre, que c’était elle qui invitait, peut-être avait-elle craint qu’en refusant l’entrée aux enfants de la Berma ceux-ci doutassent, au lieu de sa bonne volonté, ce qui lui eût été bien égal, de son influence. La duchesse de Guermantes s’éloigna instinctivement, car au fur et à mesure que quelqu’un avait l’air de rechercher le monde, il baissait