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effet du temps, dégageait en toute chose l’élément drôle, assimilable à la littérature genre Meilhac, à l’esprit des Guermantes. « À un moment, elle avait la manie d’avaler tout le temps des pastilles qu’on donnait dans ce temps-là contre la toux et qui s’appelaient — ajouta-t-elle en riant elle-même d’un nom si spécial, si connu autrefois, si inconnu aujourd’hui des gens à qui elle parlait — des pastilles Géraudel. « Madame de Varambon, lui disait ma belle-mère, en avalant tout le temps comme cela des pastilles Géraudel, vous vous ferez mal à l’estomac. » « Mais Madame la Duchesse, répondait Mme de Varambon, comment voulez-vous que cela fasse mal à l’estomac puisque cela va dans les bronches ? » Et puis c’est elle qui disait : « La duchesse a une vache si belle qu’on la prend toujours pour étalon. » Et Mme de Guermantes eût volontiers continué à raconter des histoires de Mme de Varambon, dont nous connaissions des centaines, mais nous sentions bien que ce nom n’éveillait dans la mémoire ignorante de Bloch aucune des images qui se levaient pour nous aussitôt qu’il était question de Mme de Varambon, de M. de Bréauté, du prince d’Agrigente et, à cause de cela même, excitait peut-être chez lui un prestige que je savais exagéré mais que je trouvais compréhensible, non pas parce que je l’avais moi-même subi, nos propres erreurs et nos propres ridicules ayant rarement pour effet de nous rendre, même quand nous les avons percés à jour, plus indulgents à ceux des autres.

Le passé s’était tellement transformé dans l’esprit de la duchesse, ou bien les démarcations qui existaient dans le mien avaient été toujours si absentes du sien, que ce qui avait été événement pour moi