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moi que vous l’avez connu ? En tout cas, c’est chez moi que vous avez connu Swann. » Et j’étais aussi surpris qu’elle pût croire que j’avais peut-être connu M. de Bréauté ailleurs que chez elle, donc que j’allasse dans ce monde-là avant de la connaître, que de voir qu’elle croyait que c’était chez elle que j’avais connu Swann. Moins mensongèrement que Gilberte quand elle disait de Bréauté : « C’est un vieux voisin de campagne, j’ai plaisir à parler avec lui de Tansonville », alors qu’autrefois, à Tansonville, il ne les fréquentait pas, j’aurais pu dire : « C’est un voisin de campagne qui venait souvent nous voir le soir », de Swann qui, en effet, me rappelait tout autre chose que les Guermantes. « Je ne saurais pas vous dire ! reprit-elle. C’était un homme qui avait tout dit quand il parlait d’Altesses. Il avait un lot d’histoires assez drôles sur des gens de Guermantes, sur ma belle-mère, sur Mme de Varambon avant qu’elle fût auprès de la princesse de Parme. Mais qui sait aujourd’hui qui était Mme de Varambon ? Ce petit-là, oui, il a connu tout ça, mais tout ça c’est fini, ce sont des gens dont le nom même n’existe plus et qui, d’ailleurs, ne mériteraient pas de survivre. » Et je me rendais compte, malgré cette chose une que semble le monde, et où, en effet, les rapports sociaux arrivent à leur maximum de concentration et où tout communique, comme il y reste des provinces, ou du moins comme le Temps en fait qui changent de nom, qui ne sont plus compréhensibles pour ceux qui y arrivent seulement quand la configuration a changé. « C’était une bonne dame qui disait des choses d’une bêtise inouïe », reprit en parlant de Mme de Varambon la duchesse qui, insensible à cette poésie de l’incompréhensible, qui est un