est une science, cela ne l’aide en rien à comprendre la guerre, parce que la guerre n’est pas stratégique. L’ennemi ne connaît pas plus nos plans que nous ne savons le but poursuivi par la femme que nous aimons, et ces plans peut-être ne les savons-nous pas nous-mêmes. Les Allemands, dans l’offensive de mars 1918, avaient-ils pour but de prendre Amiens ? Nous n’en savons rien. Peut-être ne le savaient-ils pas eux-mêmes, et est-ce l’événement de leur progression à l’ouest, vers Amiens, qui détermina leur projet. À supposer que la guerre soit scientifique, encore faudrait-il la peindre comme Elstir peignait la mer, par l’autre sens, et partir des illusions, des croyances qu’on rectifie peu à peu, comme Dostoïevski raconterait une vie. D’ailleurs, il est trop certain que la guerre n’est point stratégique, mais plutôt médicale, comportant des accidents imprévus que le clinicien pouvait espérer éviter, comme la Révolution russe. »
Dans toute cette conversation, Gilberte m’avait parlé de Robert avec une déférence qui semblait plus s’adresser à mon ancien ami qu’à son époux défunt. Elle avait l’air de me dire : « Je sais combien vous l’admiriez. Croyez bien que j’ai su comprendre l’être supérieur qu’il était. » Et pourtant, l’amour que certainement elle n’avait plus pour son souvenir était peut-être encore la cause lointaine de particularités de sa vie actuelle. Ainsi Gilberte avait maintenant pour amie inséparable Andrée. Quoique celle-ci commençât, surtout à la faveur du talent de son mari et de sa propre intelligence, à pénétrer non pas, certes, dans le milieu des Guermantes, mais dans un monde infiniment plus élégant que celui qu’elle fréquentait jadis, on fut é