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autrefois et qu’il me fallait le hasard d’un éclair d’attention pour les rattacher, comme à une étymologie, à cette signification primitive qu’elles avaient eue pour moi. Mlle Swann me jetait, de l’autre côté de la haie d’épines roses, un regard dont j’avais dû, d’ailleurs, rétrospectivement retoucher la signification, qui était du désir. L’amant de Mme Swann, selon la chronique de Combray, me regardait derrière cette même haie d’un air dur qui n’avait pas non plus le sens que je lui avais donné alors, et ayant, d’ailleurs, tellement changé depuis, que je ne l’avais nullement reconnu à Balbec dans le Monsieur qui regardait une affiche, près du Casino, et dont il m’arrivait une fois tous les dix ans de me souvenir en me disant : « Mais c’était M. de Charlus, déjà, comme c’est curieux. » Mme de Guermantes au mariage du Dr Percepied, Mme Swann en rose chez mon grand-oncle, Mme de Cambremer, sœur de Legrandin, si élégante qu’il craignait que nous ne le priions de nous donner une recommandation pour elle, c’étaient, ainsi que tant d’autres concernant Swann, Saint-Loup, etc., autant d’images que je m’amusais parfois, quand je les retrouvais, à placer comme frontispice au seuil de mes relations avec ces différentes personnes, mais qui ne me semblaient, en effet, qu’une image, et non déposée en moi par l’être lui-même, auquel rien ne la reliait plus. Non seulement certaines gens ont de la mémoire et d’autres pas (sans aller jusqu’à l’oubli constant où vivent les ambassadeurs de Turquie), ce qui leur permet de trouver toujours — la nouvelle précédente s’étant évanouie au bout de huit jours, ou la suivante ayant le don de l’exorciser — de la place pour la nouvelle contraire qu’on leur dit. Mais même à é