Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 1.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée

D’ailleurs — et ceci s’adressait plutôt au monde politique, qui était moins informé — elle le représentait comme aussi « toc », aussi « à côté » comme situation mondaine que comme valeur intellectuelle. « Il ne voit personne, personne ne le reçoit », disait-elle à M. Bontemps, qu’elle persuadait aisément. Il y avait d’ailleurs du vrai dans ces paroles. La situation de M. de Charlus avait changé. Se souciant de moins en moins du monde, s’étant brouillé par caractère quinteux et ayant, par conscience de sa valeur sociale, dédaigné de se réconcilier avec la plupart des personnes qui étaient la fleur de la société, il vivait dans un isolement relatif qui n’avait pas, comme celui où était morte Mme de Villeparisis, l’ostracisme de l’aristocratie pour cause, mais qui aux yeux du public paraissait pire pour deux raisons. La mauvaise réputation, maintenant connue, de M. de Charlus faisait croire aux gens peu renseignés que c’était pour cela que ne le fréquentaient point les gens que de son propre chef il refusait de fréquenter. De sorte que ce qui était l’effet de son humeur atrabilaire semblait celui du mépris des personnes à l’égard de qui elle s’exerçait. D’autre part, Mme de Villeparisis avait eu un grand rempart : la famille. Mais M. de Charlus avait multiplié entre elle et lui les brouilles. Elle lui avait, d’ailleurs — surtout côté vieux faubourg, côté Courvoisier — semblé inintéressante. Et il ne se doutait guère, lui qui avait fait vers l’art, par opposition aux Courvoisier, des pointes si hardies, que ce qui eût intéressé le plus en lui un Bergotte, par exemple, c’était sa parenté avec tout ce vieux faubourg, c’eût été le pouvoir de décrire la vie quasi provinciale menée par ses cousines de la rue de la Chaise, à la place du