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l’hôtel faisait d’une sorte de losange aux murs éclatants de blancheur comme un écran sur lequel se détachaient à chaque mercredi, et presque tous les jours, tous les gens les plus intéressants, les plus variés, les femmes les plus élégantes de Paris, ravis de profiter du luxe des Verdurin qui, grâce à leur fortune, allait croissant à une époque où les plus riches se restreignaient faute de toucher leurs revenus. La forme donnée aux réceptions se trouvait modifiée sans qu’elles cessassent d’enchanter Brichot, qui, au fur et à mesure que les relations des Verdurin allaient s’étendant, y trouvait des plaisirs nouveaux et accumulés dans un petit espace comme des surprises dans un chausson de Noël. Enfin, certains jours, les dîneurs étaient si nombreux que la salle à manger de l’appartement privé était trop petite, on donnait le dîner dans la salle à manger immense d’en bas, où les fidèles, tout en feignant hypocritement de déplorer l’intimité d’en haut, étaient ravis au fond — en faisant bande à part comme jadis dans le petit chemin de fer — d’être un objet de spectacle et d’envie pour les tables voisines. Sans doute dans les temps habituels de la paix une note mondaine subrepticement envoyée au Figaro ou au Gaulois aurait fait savoir à plus de monde que n’en pouvait tenir la salle à manger du Majestic que Brichot avait dîné avec la duchesse de Duras. Mais depuis la guerre, les courriéristes mondains ayant supprimé ce genre d’informations (ils se rattrapaient sur les enterrements, les citations et les banquets franco-américains), la publicité ne pouvait plus exister que par ce moyen enfantin et restreint, digne des premiers âges, et antérieur à la découverte de Gutenberg, être vu à la table de {{