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pied à côté de nous, et apercevant le baron, dont elle ignorait la récente attaque, s’arrêta pour lui dire bonjour. Mais la maladie qu’elle venait d’avoir faisait qu’elle ne comprenait pas mieux, mais supportait plus impatiemment, avec une mauvaise humeur nerveuse où il y avait peut-être beaucoup de pitié, la maladie des autres. Entendant le baron prononcer difficilement et à faux certains mots, lui voyant bouger difficilement le bras, elle jeta les yeux tour à tour sur Jupien et sur moi comme pour nous demander l’explication d’un phénomène aussi choquant. Comme nous ne lui dîmes rien, ce fut à M. de Charlus lui-même qu’elle adressa un long regard plein de tristesse mais aussi de reproches. Elle avait l’air de lui faire grief d’être avec elle, dehors, dans une attitude aussi peu usuelle que s’il fût sorti sans cravate ou sans souliers. À une nouvelle faute de prononciation que commit le baron, la douleur et l’indignation de la duchesse augmentant ensemble, elle dit au baron : « Palamède ! » sur le ton interrogatif et exaspéré des gens trop nerveux qui ne peuvent supporter d’attendre une minute et, si on les fait entrer tout de suite en s’excusant d’achever sa toilette, vous disent amèrement, non pour s’excuser mais pour s’accuser : « Mais alors, je vous dérange ! », comme si c’était un crime de la part de celui qu’on dérange. Finalement, elle nous quitta d’un air de plus en plus navré en disant au baron : « Vous feriez mieux de rentrer. »

M. de Charlus demanda à s’asseoir sur un fauteuil pour se reposer pendant que Jupien et moi ferions quelques pas et tira péniblement de sa poche un livre qui me sembla être un livre de prières. Je