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ce que c’est. Elle avait peut-être vécu près de l’amie de Mlle Vinteuil et d’Andrée, séparée par une cloison étanche d’elles qui croyaient qu’elle n’en était pas, ne s’était renseignée ensuite — comme une femme qui épouse un homme de lettres cherche à se cultiver — qu’afin de me complaire en se faisant capable de répondre à mes questions, jusqu’au jour où elle avait compris qu’elles étaient inspirées par la jalousie et où elle avait fait machine en arrière, à moins que ce ne fût Gilberte qui me mentît. L’idée me vint que c’était pour avoir appris d’elle, au cours d’un flirt qu’il aurait conduit dans le sens qui l’intéressait, qu’elle ne détestait pas les femmes, que Robert l’avait épousée, espérant des plaisirs qu’il n’avait pas dû trouver chez lui puisqu’il les prenait ailleurs. Aucune de ces hypothèses n’était absurde, car chez des femmes comme la fille d’Odette ou les jeunes filles de la petite bande il y a une telle diversité, un tel cumul de goûts alternants, si même ils ne sont pas simultanés, qu’elles passent aisément d’une liaison avec une femme à un grand amour pour un homme, si bien que définir le goût réel et dominant reste difficile. C’est ainsi qu’Albertine avait cherché à me plaire pour me décider à l’épouser, mais elle y avait renoncé elle-même à cause de mon caractère indécis et tracassier. C’était, en effet, sous cette forme trop simple que je jugeais mon aventure avec Albertine, maintenant que je ne voyais plus cette aventure que du dehors.

Ce qui est curieux et ce sur quoi je ne puis m’étendre, c’est à quel point, vers cette époque-là, toutes les personnes qu’avait aimées Albertine, toutes celles qui auraient pu lui faire faire ce qu’elles auraient voulu, demandèrent, implorèrent, j’oserai