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l’envahition de la pauvre Belgique », durait toujours, qu’on n’avançait pas, phénomène de fixation des fronts dont elle comprenait mal le sens, et qu’enfin un des innombrables « filleuls » à qui elle donnait tout ce qu’elle gagnait chez nous lui racontait qu’on avait caché telle chose, telle autre. « Tout cela retombera sur l’ouvrier, concluait le maître d’hôtel. On vous prendra votre champ, Françoise. — Ah ! Seigneur Dieu ! » Mais à ces malheurs lointains, il en préférait de plus proches et dévorait les journaux dans l’espoir d’annoncer une défaite à Françoise. Il attendait les mauvaises nouvelles comme des œufs de Pâques, espérant que cela irait assez mal pour épouvanter Françoise, pas assez pour qu’il pût matériellement en souffrir. C’est ainsi qu’un raid de zeppelins l’eût enchanté pour voir Françoise se cacher dans les caves, et parce qu’il était persuadé que dans une ville aussi grande que Paris les bombes ne viendraient pas juste tomber sur notre maison. Du reste, Françoise commençait à être reprise par moment de son pacifisme de Combray. Elle avait presque des doutes sur les « atrocités allemandes ». « Au commencementn mais celle qu’ils fussent des Boches, presque invraisemblable à cause de son énormité). Seulement il était assez difficile de comprendre quel sens mystérieusement effroyable Françoise donnait au mot de Boche puisqu’il s’agissait du début de la guerre, et aussi à cause de l’air de doute avec lequel elle prononçait ce mot. Car le