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eux en tant qu’ils concernaient les autres, soit qu’elle y vît une sorte d’excuse indirecte pour Robert, soit que celui-ci, partagé comme son oncle entre un silence sévère à l’égard de ces sujets et un besoin de s’épancher et de médire, l’eût instruite pour beaucoup. Entre tous, M. de Charlus n’était pas épargné ; c’était sans doute que Robert, sans parler de Morel à Gilberte, ne pouvait s’empêcher, avec elle, de lui répéter, sous une forme ou sous une autre, ce que le violoniste lui avait appris. Et il poursuivait son ancien bienfaiteur de sa haine. Ces conversations, que Gilberte affectionnait, me permirent de lui demander si, dans un genre parallèle, Albertine, dont c’est par elle que j’avais entendu la première fois le nom, quand jadis elles étaient amies de cours, avait de ces goûts. Gilberte refusa de me donner ce renseignement. Au reste, il y avait longtemps qu’il eût cessé d’offrir quelque intérêt pour moi. Mais je continuais à m’en enquérir machinalement, comme un vieillard qui, ayant perdu la mémoire, demande de temps à autre des nouvelles du fils qu’il a perdu.

Un autre jour je revins à la charge et demandai encore à Gilberte si Albertine aimait les femmes. « Oh ! pas du tout. — Mais vous disiez autrefois qu’elle avait mauvais genre. — J’ai dit cela, moi ? vous devez vous tromper. En tout cas si je l’ai dit — mais vous faites erreur — je parlais au contraire d’amourettes avec des jeunes gens. À cet âge-là, du reste, cela n’allait probablement pas bien loin. »

Gilberte disait-elle cela pour me cacher qu’elle-même, selon ce qu’Albertine m’avait dit, aimait les femmes et avait fait à Albertine des propositions ?