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dit cela pour vous tromper, vous êtes trop naïf », ajouta Jupien pour se disculper et ne faisant que froisser l’amour-propre de M. de Charlus.

En même temps qu’on croyait M. de Charlus prince, en revanche on regrettait beaucoup, dans l’établissement, la mort de quelqu’un dont les gigolos disaient : « Je ne sais pas son nom, il paraît que c’est un baron » et qui n’était autre que le prince de Foix (le père de l’ami de Saint-Loup). Passant, chez sa femme, pour vivre beaucoup au cercle, en réalité il passait des heures chez Jupien à bavarder, à raconter des histoires du monde devant des voyous. C’était un grand bel homme, comme son fils. Il est extraordinaire que M. de Charlus, sans doute parce qu’il l’avait toujours connu dans le monde, ignorât qu’il partageait ses goûts. On allait même jusqu’à dire qu’il les avait autrefois portés jusque sur son fils encore collégien (l’ami de Saint-Loup), ce qui était probablement faux. Au contraire, très renseigné sur des mœurs que beaucoup ignorent, il veillait beaucoup aux fréquentations de son fils. Un jour qu’un homme, d’ailleurs de basse extraction, avait suivi le jeune prince de Foix jusqu’à l’hôtel de son père, où il avait jeté un billet par la fenêtre, le père l’avait ramassé. Mais le suiveur, bien qu’il ne fût pas aristocratiquement du même monde que M. de Foix le père, l’était à un autre point de vue. Il n’eut pas de peine à trouver dans de communs complices un intermédiaire qui fit taire M. de Foix en lui prouvant que c’était le jeune homme qui avait provoqué cette audace d’un homme âgé. Et c’était possible. Car le prince de Foix avait pu réussir à préserver son fils des mauvaises fréquentations au dehors mais non de l’hérédité. Au reste, le jeune