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la bonne blessure » (celle qui fait réformer), comme Mme Swann disait jadis : « J’ai trouvé le moyen d’attraper la fâcheuse influenza. » La porte se rouvrit sur le chauffeur qui était allé un instant prendre l’air. « Comment, c’est déjà fini ? ça n’a pas été long », dit-il en apercevant Maurice qu’il croyait en train de frapper celui qu’on avait surnommé, par allusion à un journal qui paraissait à cette époque : « l’Homme enchaîné ». « Ce n’est pas long pour toi qui es allé prendre l’air, répondit Maurice, froissé qu’on vît qu’il avait déplu là-haut. Mais si tu étais obligé de taper à tour de bras comme moi, par cette chaleur ! Si c’était pas les cinquante francs qu’il donne... — Et puis, c’est un homme qui cause bien ; on sent qu’il a de l’instruction. Dit-il que ce sera bientôt fini ? — Il dit qu’on ne pourra pas les avoir, que ça finira sans que personne ait le dessus. — Bon sang de bon sang, mais c’est donc un Boche... — Je vous ai dit que vous causiez trop haut, dit le plus vieux aux autres en m’apercevant. Vous avez fini avec la chambre ? — Ah ! ta gueule, tu n’es pas le maître ici. — Oui, j’ai fini, et je venais pour payer. — Il vaut mieux que vous payiez au patron. Maurice, va donc le chercher. — Mais je ne veux pas vous déranger. — Ça ne me dérange pas. » Maurice monta et revint en me disant : « Le patron descend. » Je lui donnai deux francs pour son dérangement. Il rougit de plaisir. « Ah ! merci bien. Je les enverrai à mon frère qui est prisonnier. Non, il n’est pas malheureux, ça dépend beaucoup des camps. » Pendant ce temps, deux clients très élégants, en habit et cravate blanche sous leur pardessus — deux Russes, me sembla-t-il à leur très léger accent — se tenaient sur