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beau dire à Morel, comme il m’avait dit à moi-même : « Je suis prince, je veux votre bien », encore était-ce Morel qui avait le dessus s’il ne voulait pas se rendre. Et pour qu’il ne le voulût pas, il suffisait peut-être qu’il se sentît aimé. L’horreur que les grands ont pour les snobs qui veulent à toute force se lier avec eux, l’homme viril l’a pour l’inverti, la femme pour tout homme trop amoureux. M. de Charlus non seulement avait tous les avantages, mais en eût proposé d’immenses à Morel. Mais il est possible que tout cela se fût brisé contre une volonté. Il en eût été dans ce cas de M. de Charlus comme de ces Allemands, auxquels il appartenait, du reste, par ses origines, et qui, dans la guerre qui se déroulait à ce moment, étaient bien, comme le baron le répétait un peu trop volontiers, vainqueurs sur tous les fronts. Mais à quoi leur servait leur victoire, puisque après chacune ils trouvaient les Alliés plus résolus à leur refuser la seule chose qu’eux, les Allemands, eussent souhaité d’obtenir, la paix et la réconciliation ? Ainsi Napoléon entrait en Russie et demandait magnanimement aux autorités de venir vers lui. Mais personne ne se présentait.

Je descendis et rentrai dans la petite antichambre où Maurice, incertain si on le rappellerait et à qui Jupien avait à tout hasard dit d’attendre, était en train de faire une partie de cartes avec un de ses camarades. On était très agité d’une croix de guerre qui avait été trouvée par terre, et on ne savait pas qui l’avait perdue, à qui la renvoyer pour éviter au titulaire un ennui. Puis on parla de la bonté d’un officier qui s’était fait tuer pour tâcher de sauver son ordonnance. « Il y a tout de même du