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homme de vingt-deux ans. Bientôt on me fit monter dans la chambre 43, mais l’atmosphère était si désagréable et ma curiosité si grande que, mon « cassis » bu, je redescendis l’escalier, puis, pris d’une autre idée, je remontai et dépassai l’étage de la chambre 43, allai jusqu’en haut. Tout à coup, d’une chambre qui était isolée au bout d’un couloir me semblèrent venir des plaintes étouffées. Je marchai vivement dans cette direction et appliquai mon oreille à la porte. « Je vous en supplie, grâce, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort, disait une voix. Je vous baise les pieds, je m’humilie, je ne recommencerai pas. Ayez pitié. — Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traînes à genoux, on va t’attacher sur le lit, pas de pitié », et j’entendis le bruit du claquement d’un martinet, probablement aiguisé de clous car il fut suivi de cris de douleur. Alors je m’aperçus qu’il y avait dans cette chambre un œil-de-bœuf latéral dont on avait oublié de tirer le rideau ; cheminant à pas de loup dans l’ombre, je me glissai jusqu’à cet œil-de-bœuf, et là, enchaîné sur un lit comme Prométhée sur son rocher, recevant les coups d’un martinet en effet planté de clous que lui infligeait Maurice, je vis, déjà tout en sang, et couvert d’ecchymoses qui prouvaient que le supplice n’avait pas lieu pour la première fois, je vis devant moi M. de Charlus. Tout à coup la porte s’ouvrit et quelqu’un entra qui heureusement ne me vit pas, c’était Jupien. Il s’approcha du baron avec un air de respect et un sourire d’intelligence : « Hé bien, vous n’avez pas besoin de moi ? » Le baron pria Jupien de faire sortir un moment Maurice. Jupien le mit dehors avec la plus grande désinvolture. « On ne peut pas nous entendre ? » dit le baron à