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sur ce qu’ils avaient été tous descendus. — Il n’en viendra plus, il n’en viendra plus, qu’est-ce que tu en sais ? Quand tu auras comme moi quinze mois de front et que tu auras abattu ton cinquième avion boche, tu pourras en causer. Faut pas croire les journaux. Ils sont allés hier sur Compiègne, ils ont tué une mère de famille avec ses deux enfants. — Une mère de famille avec ses deux enfants », dit avec des yeux ardents et un air de profonde pitié le jeune homme qui espérait bien ne pas être tué et qui avait, du reste, une figure énergique, ouverte et des plus sympathiques. « On n’a pas de nouvelles du grand Julot. Sa marraine n’a pas reçu de lettre de lui depuis huit jours et c’est la première fois qu’il reste si longtemps sans lui en donner. — Qui est sa marraine ? — C’est la dame qui tient le chalet de nécessité un peu plus bas que l’Olympia. — Ils couchent ensemble ? — Qu’est-ce que tu dis là ; c’est une femme mariée, tout ce qu’il y a de sérieuse. Elle lui envoie de l’argent toutes les semaines parce qu’elle a bon cœur. Ah ! c’est une chic femme. — Alors tu le connais, le grand Julot ? — Si je le connais ! reprit avec chaleur le jeune homme de vingt-deux ans. C’est un de mes meilleurs amis intimes. Il n’y en a pas beaucoup que j’estime comme lui, et bon camarade, toujours prêt à rendre service, ah ! tu parles que ce serait un rude malheur s’il lui était arrivé quelque chose. » Quelqu’un proposa une partie de dés et à la hâte fébrile avec laquelle le jeune homme de vingt-deux ans retournait les dés et criait les résultats, les yeux hors de la tête, il était aisé de voir qu’il avait un tempérament de joueur. Je ne saisis pas bien ce que quelqu’un lui dit ensuite, mais il s’écria d’un ton