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grâce à l’éducation la plus accomplie, s’exagérait, se figeait ; la pénétration du regard propre aux Guermantes lui donnait l’air d’inspecter tous les lieux au milieu desquels il passait, mais d’une façon quasi inconsciente, par une sorte d’habitude et de particularité animale ; même immobile, la couleur qui était la sienne plus que de tous les Guermantes, d’être seulement de l’ensoleillement d’une journée d’or devenue solide, lui donnait comme un plumage si étrange, faisait de lui une espèce si rare, si précieuse, qu’on aurait voulu la posséder pour une collection ornithologique ; mais quand, de plus, cette lumière changée en oiseau se mettait en mouvement, en action, quand par exemple je voyais Robert de Saint-Loup entrer dans une soirée où j’étais, il avait des redressements de sa tête si joyeusement et si fièrement huppée sous l’aigrette d’or de ses cheveux un peu déplumés, des mouvements de cou tellement plus souples, plus fiers et plus coquets que n’en ont les humains, que devant la curiosité et l’admiration moitié mondaine, moitié zoologique qu’il vous inspirait, on se demandait si c’était dans le faubourg Saint-Germain qu’on se trouvait ou au Jardin des Plantes et si on regardait un grand seigneur traverser un salon, ou se promener dans sa cage un merveilleux oiseau. Pour peu qu’on y mît un peu d’imagination, le ramage ne se prêtait pas moins à cette interprétation que le plumage. Il disait ce qu’il croyait grand siècle et par là imitait les manières des Guermantes. Mais un rien d’indéfinissable faisait qu’elles devenaient les manières de M. de Charlus. « Je te quitte un instant, me dit-il, dans cette soirée où Mme de Marsantes était un peu plus loin. Je vais faire un